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L’hystérie de livraison a un coût

Les achats en magasins déclinent, les commandes en ligne explosent. Cette nouvelle pratique a pour conséquence une multiplication des livraisons de proximité.

 C’est un casse-tête pour les professionnels, mais la concurrence pousse aux solutions les moins chères, et les plus rapides.

La vente par correspondance est une méthode commerciale très ancienne, intensivement pratiquée il y a plus d’un siècle, par des entreprises historiques comme LA REDOUTE ou MANUFRANCE. Cette activité exige une logistique de transport très efficace, qui a reposé sur LA POSTE à ses débuts.

Depuis une trentaine d’année, des sociétés de fret privé ont investi ce marché, trop important et trop concurrentiel pour être laissé au courrier postal.

Avec l’augmentation spectaculaire du commerce en ligne, le volume des livraisons de petits colis a explosé depuis dix ans : plus de 600 millions désormais chaque année.

C’est un exploit réalisé par une multitude de transporteurs, depuis les énormes semi-remorques qui sortent des entrepôts, jusqu’aux camionnettes quittant les centres de tri, et les cyclistes qui sillonnent les rues.

Beaucoup de ces entreprises de livraison à domicile recourent à la sous-traitance.        C’est la solution pour faire face aux pics de charge, selon les principaux acteurs de ce marché. Mais c’est aussi un moyen de réduire les dépenses de salaires et de matériels roulants.

LA POSTE est le premier de ces transporteurs en France, et cette entreprise sous-traite une grande partie de ses commandes. Ainsi, dans les centres de tri postal, les postiers côtoient désormais d’autres employés, dont les cadences et les rémunérations ne sont pas les mêmes.

STUART est une filiale de LA POSTE, et l’une des plus importantes sociétés spécialisées dans la livraison rapide à domicile. Mais elle n’embauche pas de coursiers. Les colis sont confiés à des livreurs indépendants, cyclistes comme ceux de DELIVEROO, qui prennent leurs ordres en ligne.

L’application STUART leur indique où récupérer le colis, où le livrer, dans quel délai maximum, avec le trajet le plus court.

Ces auto-entrepreneurs n’ont pas de couverture sociale, ou bien ils devraient la financer eux-mêmes, ce qui ne leur permettrait pas de tirer un revenu suffisant de cette activité. Ils sont aussi soumis aux variations de rémunération des courses, dont la logique est à la fois impitoyable et imprévisible.

En effet, ces travailleurs innombrables et minuscules sont complètement dépendants de leurs donneurs d’ordre, aussi bien pour le travail fourni que pour les tarifs appliqués, et les cadences ou « performances » imposées. Ils sont ainsi poussés à prendre des risques dans la circulation urbaine.

Le pire, c’est que de récentes enquêtes, mais aussi de l’aveu d’associations humanitaires, il est désormais certains que des migrants sont exploités dans ce travail. Des livreurs titulaires d’une licence de livreur auprès d’un réseau comme UBER ou DELIVEROO font réaliser leurs courses par des mineurs ou des migrants. Ces nouveaux esclaves effectuent les livraisons pour quelques sous, avec le numéro de licence d’un auto-entrepreneur déclaré, ni vu ni connu.

Le phénomène va s’amplifier, avec le développement des commandes en ligne, et surtout la concurrence sur ce marché de la livraison de proximité.

Le principal acteur, AMAZON, dépense des millions pour investir en entrepôts, en robotisation, en véhicules de transport (des drones, des triporteurs). Ce mastodonte tire les autres vers la baisse des prix et la réduction des délais.

Le droit de la consommation pousse dans le même sens. Le client qui n’est pas livré, ou livré en retard, pendant la période des fêtes, peut obtenir le remboursement de sa commande auprès du vendeur, sans discussion ni pénalité.

En effet, le vendeur en ligne, selon la loi, est « responsable de plein droit, à l’égard du consommateur, de la bonne exécution des obligations résultant du contrat conclu à distance« .

            Cela veut dire que ce professionnel est seul garant à l’égard du client, notamment de la livraison, conforme et dans le délai prévu. Il ne peut se défausser derrière le transporteur, qui est son sous-traitant, et avec lequel l’acheteur n’a pas de contrat. Les grands opérateurs de la vente en ligne font évidemment payer les entreprises de transport, pour tout défaut de livraison.

Ainsi, la protection légale pour les clients, la pression de la concurrence entre professionnels, sont deux facteurs qui accentuent considérablement le défi de la livraison à domicile. Cette double pression est largement supportée par un troupeau de coursiers, le plus souvent jeunes, athlétiques, mais précaires, qui dépendent complètement d’opérateurs en tension, ou de marchands de travail cyniques.

Ce modèle économique s’écroulerait sans doute si la jurisprudence confirmait que la situation contractuelle de ces nouveaux esclaves n’est pas l’entreprise, mais le salariat. C’est ce qu’a décidé la Cour de cassation fin 2018.